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Le projet : quel sens, quelles conséquences ?

Chapo

Le projet est partout dans la vie des animateurs et des animatrices. Mais quel est le sens de ce mot, et quelles sont les conséquences de son utilisation dans le monde de l'animation ?

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© Estelle Perdu
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Définition

Projet (nom masculin)

Général – ce que quelqu’un·e veut faire.

Philosophie – ce que quelqu’un·e désire pour sa vie, ce qui définit le sujet comme singulier.

Animation – outil de gestion que l’on retrouve à tous les niveaux de la structure de loisirs. Organisateur·ice = projet éducatif, directeur·ice = projet pédagogique, animateur·ice = projet d’animation, enfant = projet personnel. 

Pour pouvoir accueillir des enfants, un·e directeur·ice ou organisateur·ice d’accueil collectif de mineurs (ACM) doit fournir à l’administration deux documents décrivant les organisations et leurs finalités. Ces documents sont appelés « projet éducatif » et « projet pédagogique », et rédigés en objectifs, moyens et évaluations à la demande des financeurs.  C’est la seule forme d’écrit apprise dans les formations à l’animation volontaire (Bafa et Bafd). Pourtant, ces écrits pourraient prendre d’autres formes plus en phase avec ce qu’est un ACM, par exemple un écrit pédagogique.

Le projet « objectif-moyen-évaluation » est un outil de gestion, inventé par des industriels, et n’a comme seule vocation que de mesurer la rentabilité d’un produit, ce que recherchent les financeurs. Il est tellement généralisé que plus personne ne questionne son existence, ni ne se demande quel est le produit rentable que produisent les ACM.

Pour les ACM, revenir à la définition philosophique permettrait à chaque directeur·ice de se demander ce qu’il ou elle désire pour la vie AVEC l’équipe et les enfants. Puis comment, ensemble, ils vont mettre en place les choses et les faire vivre en cohérence : rêver puis construire plutôt que gérer.

Analyse

Le projet est partout dans nos vies d’animateur·ices et de directeur·ices. Dès les formations Bafa/Bafd, nous avons appris à penser en objectifs et moyens. Nous avons sué pour inventer et trouver des objectifs pour un projet d’animation « grand jeu », nous nous sommes creusé les méninges pour définir en cohérence des objectifs éducatifs et des moyens d’actions pour l’écriture du sacro-saint projet pédagogique en Bafd. Nous avons rencontré des formateur·ices (plutôt des formateurs d’ailleurs) qui ont annoncé : « je suis le pro du projet », nous rêvons parfois de devenir chef de projet « enfance » ou « jeunesse » pour nous éloigner du terrain… Bref, sans projet point de salut, de brevet, d’emploi et d’évolution de carrière. Pour être animateur·ice, faut-il être un « pro du projet » ?

Si l'on écoute nos décideurs, nos financeurs ou les responsables associatifs, il est indispensable dans l'animation de maîtriser parfaitement la méthodologie de projet pour pouvoir exercer correctement son travail, et pour cause : chacun·e d’entre eux ne raisonne que par projet. Le responsable associatif répond à des appels à projets construits par des financeurs qui répondent à des politiques publiques. Le décideur veut savoir quels seront les effets de sa politique, le financeur veut savoir combien cela va lui coûter et le responsable associatif veut maîtriser les rentrées financières et les dépenses pour équilibrer son budget. L’outil qui permet à chacun de gérer tout cela est la méthodologie de projet.

Une méthode issue de l'industrie

On le sait peu, mais cet outil puissant a été inventé par des industriels pour connaître le coût d’un produit avant sa fabrication. C’est grâce à cet outil qu’Airbus est capable de vendre des avions avant même que la moindre pièce ait pu être produite. La méthodologie de projet se décline en diagrammes précis (Gandt ou Pert) qui phasent les différentes étapes jusqu’à la sortie de la chaîne de montage du premier avion. Ces diagrammes et le chiffrage des étapes donneront le coût de production, qui permettra de fixer le prix le vente. 

Dès lors que l’on comprend bien la finalité de la méthodologie de projet, il est effrayant de penser que nos centres de loisirs et de vacances utilisent un outil de gestion pour définir ce qu’ils devraient apporter et/ou apprendre à des enfants. L’escroquerie est de nous faire croire, à nous animateur·ices et directeur·ices, que c’est dans le projet que se lit le sens de l’action. Dans un projet, on ne lit que le coût de l’action et ce qu’elle produit. La logique de « projet » appliquée aux personnes âgées donne le scandale Orpéa ; appliquée aux bébés, elle aboutît aux abus dans les crèches. Deux affaires dénoncées par le journaliste Victor Castanet.

Peut-on créer du sens sans projet ? 

Retournons la question : est-il possible de créer du sens et de le faire lire sans avoir recours à un projet ? La réponse est simple puisqu’avant les années 1980, dans les colos et les centres de loisirs (appelés patronages), personne ne parlait de projet et pourtant les écrits existaient. La presse spécialisée de l’époque est riche en articles, textes, décrivant des colos et des actions de patronages, des guides et fichiers de jeu étaient édités, la controverse était présente, les débats étaient parfois houleux… La pensée n’est pas liée au projet mais à la pédagogie. Korczak, Freinet(s), Baden-Powel, De Failly, Montessori, Oury et même plus récemment Houssaye ne parlent pas de projet, mais écrivent et décrivent des finalités traduites en organisations pédagogiques. Dans un article de 2012, Jean-Marie Bataille rappelle qu’avant les années 1980, on ne parlait pratiquement pas de projet dans l’animation socioculturelle. L’apparition du projet est bien consubstantielle à l’arrivée du libéralisme et du marché concurrentiel dans l’animation socioculturelle, et a entraîné la disparition de la pédagogie.

Ainsi, l’écriture en objectifs et moyens nous impose une vision programmatique des accueils collectifs de mineurs, permet de rendre ce que nous faisons « marchandisable » et donc contractualisable. Nous nous engageons à faire telle ou telle chose pour un résultat donné. Si les décideurs et financeurs se satisfont d’une telle évolution, est-ce que les animateur·ices et directeur·ices peuvent se satisfaire d’une telle évolution ? Si l'on envisage les accueils collectifs de mineurs comme des lieux de vie enfantine où les enfants peuvent apprendre des choses, comment peut-on tout prévoir et décider, écrire et décrire, en amont, sans les enfants (voire sans les équipes), ce qui va se dérouler et s’organiser dans ce lieu de vie ? Imaginons que l'on souhaite apprendre aux enfants, par exemple la liberté, l’égalité, la fraternité, la sororité, la démocratie ou la solidarité. Comment est-ce possible de le faire dans un espace où tout est décidé à l’avance : heures de repas et d’arrivée, activités, groupes, âges des enfants, animateur·ices référent·es, thèmes, etc. ?

Le projet nous empêche de penser et induit une vie programmatique pour tou·te·s, réduite à une vision marchande. Est-ce vraiment cela dont nous rêvons pour nos enfants et pour le monde d’aujourd’hui et de demain ?

Pour aller plus loin

Titre :
Le projet : quel sens, quelles conséquences ?
Auteur :
Jean-Michel Bocquet
Publication :
21 décembre 2024
Source :
https://www.jdanimation.fr/node/2595
Droits :
© Martin Média / Le Journal de l'Animation

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