Accompagner un jeune professionnel
Accompagner un jeune professionnel est une situation courante dans le monde du travail et en particulier dans l’animation. De fait, ce travail réside même au cœur de la fonction de direction. Explorons ce sujet…
Sous des configurations bien différentes, les directeurs sont régulièrement amenés à accompagner l’intégration de jeunes professionnels. La première question est : quel est l’ensemble dans lequel va s’intégrer le jeune professionnel ? Ce qui nous amène à énoncer la subjectivité qui est à la source de chacune de nos réponses. À cette question, chaque directeur peut répondre différemment, en plaçant les curseurs à des endroits différents, en fonction d’un nombre d’éléments possiblement infinis. Mais risquons une réponse.
Le jeune professionnel va s’intégrer dans une équipe, dans une « structure », dans un métier, dans un service. L’intégration est un mouvement qu’on peut décrire dans plusieurs sens : j’intègre une équipe, j’intègre des normes, des informations… S’intégrer, c’est possiblement passer de l’état de non-membre de l’équipe à celui de membre de l’équipe.
Cependant là aussi une question se pose : pour être membre, suffit-il d’avoir un contrat de travail, un poste ? En fonction du point de vue, la réponse varie. Mais ce mouvement, cette impossibilité à figer les réponses est un point essentiel. À tout moment, accompagner une personne, c’est accepter qu’elle bouge. Souvent, on souhaite « qu’elle avance ». Cette avancée sera probablement à la rencontre de deux mouvements : une intention, avec des objectifs qui marquent une sorte de progression pensée, et un accueil de ce qui émerge, en lien avec une observation (constante mais non pesante) curieuse de ce qui se passe d’imprévu.
Accompagner une personne, en particulier un jeune professionnel qui arrive, ce sera aussi accompagner l’équipe qui l’accueille : le jeu de la rencontre entre le jeune et l’équipe est nécessairement un jeu où les deux vont « s’impacter » mutuellement.
Accompagner l’équipe
L’équipe est un ensemble vivant. Elle réagit aux informations qu’elle reçoit. Le directeur a ici un rôle : c’est de lui transmettre l’information à propos de cette intégration qui va se faire. Ensuite, on peut imaginer que l’équipe a aussi un rôle dans l’accompagnement. Celui-ci sera bien entendu à identifier. À cet endroit, le directeur aura grand intérêt à co-construire avec l’équipe le rôle qu’elle se sent capable d’avoir. Dans de nombreuses équipes (quand l’équipe va bien), il existe un intérêt pour l’accueil de jeunes professionnels : les professionnels disent souvent que participer à la formation de jeunes collègues est une occasion de se poser de nouvelles questions à propos du métier. Pour certains, c’est réellement un nouveau souffle qui va naître de l’exercice de cette posture.
Accompagner le professionnel
Le premier ingrédient d’un accompagnement est probablement l’intention, le deuxième est probablement la conscience. Un jeune professionnel arrive : le directeur le prend-il comme une sorte de non-événement, de nécessité habituelle, sans trop se mobiliser en direction de la personne qui arrive, ou au contraire est-il particulièrement investi ? Ou bien est-il… quelque part entre ces deux positions ? La conscience est comme un phare qui permet d’éclairer les processus en cours. Le troisième ingrédient sera la cohérence entre ces différents éléments. Présentons-les et commentons juste après.
Le recrutement
Quelle est l’origine du recrutement ? Quel est son point de départ ? Souvent, le recrutement part d’un besoin de main d’œuvre dans le cadre d’une activité ou d’un projet. Dans le milieu associatif, il arrive aussi qu’une personne soit recrutée avec l’intention de lui permettre une expérience professionnelle. L’association choisit alors d’intégrer quelqu’un, parce que cela correspond aux valeurs de l’association de soutenir l’évolution des personnes. Entre ces deux positions, il y a bien sûr beaucoup de combinaisons possibles en termes d’équilibre entre projet de la personne et projet de l’association. Ce qui nous importe ici, c’est de voir l’incidence du sens du recrutement sur les attentes que l’on aura de chaque côté de la relation professionnelle. Accompagner, cela se fait en fonction d’un sens partagé.
Le mode de recrutement
Nous assistons depuis quelques années à une sorte de normalisation des processus de recrutement plutôt complexes : plusieurs entretiens, avec des objectifs différents et des participants différents en fonction des objectifs. Ceci contribue, nous semble-t-il, à nourrir le processus d’intégration, qui dès lors commence avant que la personne ne démarre effectivement son travail. Il peut être judicieux de vérifier la cohérence entre la « lourdeur » du processus et la réalité de la mission, sa durée, etc.
La mission
Qu’elle précède l’arrivée de la personne ou qu’elle soit « taillée sur mesure », il est utile qu’elle soit définie plutôt clairement, permettant à la personne et à ceux qui l’entourent de prendre place. Définir une mission est un acte d’accompagnement en ceci que cela permet à la personne concernée de donner une direction à l’énergie employée. Les jeunes professionnels n’ont pas forcément l’expérience d’une définition du poste ancrée sur la mission, qui est une sorte de définition générale. Il nous semble que la mission permet de faire le lien entre le sens et le concret quotidien. La définition d’une mission peut contenir sa durée : ainsi, il y a une sorte de lisibilité qui va permettre à la personne de « doser » son engagement et sa dépense d’énergie.
Les compétences requises
En fonction de la mission, on identifie les compétences nécessaires. À cet endroit, on ne sait pas encore si la personne recrutée dispose de l’ensemble des compétences. Simplement, on nomme ce qui est nécessaire « en temps normal ». Ceci permet à chacun d’avoir une représentation clarifiée du poste, sur laquelle tout le monde peut se mettre d’accord : recruteur, recruté·e, équipe.
Les connaissances requises
On pourra ici dresser une liste de toutes les connaissances (des plus générales – type droit du travail, aux plus précises – connaissances techniques professionnelles) nécessaires à l’exercice de la fonction définie.
Le profil de la personne recrutée
Ici, on parlera du cocktail personnel et professionnel. Quelle est l’expérience préalable de la personne ? On n’hésitera pas à nommer les écarts entre les compétences requises et les compétences effectives. Les jeunes professionnels doivent apprendre que nommer ses compétences n’est pas un exercice de justification mais plutôt une occasion de trouver sa place et éventuellement d’organiser sa formation. Ensuite, on pourra tenter de nommer les talents de la personne. Beaucoup de talents peuvent conduire à la pratique de l’animation. On peut nommer la créativité, le sens du groupe, la communication, la capacité à accueillir et résoudre les difficultés, la rigueur dans l’application des protocoles, etc. Tout le monde n’a pas le même dosage et c’est normal. La question ici est : quid des talents du jeune professionnel ?
Le plan de formation
En fonction des projets professionnels de la personne et de son niveau actuel, quels sont les objectifs de formation qui peuvent exister et quels sont les moyens à mobiliser pour les atteindre ?
Le processus d’intégration
Comment la personne va-t-elle être présentée à l’équipe ? Avec qui va-t-elle travailler ? À partir de quand ? Y a-t-il une progression dans ce qui va lui être confié ? Quelles sont les informations qu’on va lui transmettre ? Pourquoi ? À quel rythme ? Ici encore, différencier les informations du type « les droits d’un salarié en France », « histoire et évolution de notre association » et « notre manière de travailler ». Parfois, tout ceci se fait de manière spontanée, et ça fonctionne. D’autres fois il est utile de formaliser un peu plus la transmission.
Le suivi
Y a-t-il des jalons identifiables et formalisés ? Par exemple, pour un jeune professionnel qui est en formation Bafd, on choisit de lui donner la possibilité de diriger un séjour après avoir participé à plusieurs séjours en tant qu’animateur.
Comment notre coopération prendra-t-elle fin et selon quelles conditions de séparation ?
Cela semble souvent étrange de parler de la fin dès le début. Pourtant, si on en fait l’expérience, on sent tout de suite que connaître les conditions de séparation, par exemple, aide à préserver l’autonomie de chacun et le sentiment de liberté. Quand ce point est flou, chacun est alors libre de « fantasmer sur le futur » et les déconvenues peuvent être douloureuses.
Les décalages et leurs conséquences
On peut regarder les dix éléments que nous venons d’examiner comme indissociables. On peut imaginer une ligne qui les traverse, et qu’ils s’empilent les uns sur les autres dans une dimension logique : ils découlent les uns des autres.
Il nous semble toutefois utile de vérifier la cohérence apparente entre ces dix éléments. Ceci aidera l’intégration, en donnant un sentiment de cadre, ce qui est souvent sain tant que ça respire. Prenons un exemple d’incohérence pour améliorer la compréhension : dans une association de quartier, on a permis à une jeune femme d’intégrer l’équipe pour s’occuper de l’accueil. Ceci est l’expression de la rencontre entre deux nécessités : celle de l’association qui a besoin d’embaucher une personne pour ce poste suite au départ d’une salariée, et celle de cette jeune femme, qui cherche du travail et qui est intéressée pour découvrir l’animation. On a donc ici une cohérence entre la volonté de travailler et la proposition de travail.
En revanche, cette jeune femme n’ayant jamais œuvré dans ce domaine professionnel, il serait bénéfique qu’elle suive une formation et qu’elle accède à un espace de soutien au développement des compétences, comme du mentorat ou de l’analyse de la pratique. Hélas, ce n’est pas mis en place pour des raisons… discutables (« pas le temps, pas d’argent, on verra plus tard, il n’y a pas de raison que ça se passe mal »). La pratique de l’animation étant ce qu’elle est, les premières difficultés arrivent rapidement. La jeune professionnelle se met à douter, ses collègues sont gênés puis finalement agacés par ses comportements professionnels : l’expérience vire au cauchemar pour tout le monde, et la jeune professionnelle quitte son poste, en intégrant qu’elle n’est pas faite pour ce travail, ce qui n’est évidemment pas démontré par cette étrange expérience.
Il peut être délicat de constater la cohérence des dix éléments entre eux. C’est une affaire subjective. Cependant, à prendre l’habitude de s’y intéresser, on arrivera rapidement à développer des « analyses de cohérence » qui sécuriseront le parcours.
Éviter… | … mais plutôt |
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La question du cocon
Une question qui revient souvent quand on parle d’accompagnement de jeunes professionnels, et donc potentiellement de débutants, est celle de leur « protection ». Dans le milieu de l’animation, on rencontre beaucoup de directeurs ou directrices assez empathiques, et c’est tant mieux pour les jeunes professionnels, qui peuvent compter sur écoute et compréhension.
Un des premiers effets de cette empathie est la tolérance à l’égard des erreurs. Le droit à l’erreur est fondamental dans une démarche d’apprentissage. Personne n’apprend sans faire d’erreurs. Cependant, la récurrence de certaines erreurs peut à certains moments nécessiter un vrai travail, qui est prometteur d’évolution, à condition qu’on ose les nommer. Il en va de même sur ce qu’on appellera « des zones de non-fiabilité ».
Par exemple, un animateur qui ne respecte jamais les délais de tenue de certains documents. Au début, on peut se dire « il apprend… ». Puis la question se pose de trouver la limite. À partir de quand l’indulgence qui permet l’apprentissage devient-elle une négligence, qui peut avoir des conséquences à la fois sur la qualité du travail et sur la qualité de l’apprentissage ? Il n’y a évidemment pas de réponse unique à cette question. Simplement, une invitation à la vigilance, et surtout à débusquer ce qui peut empêcher un responsable de confronter le professionnel à ses erreurs : peur de faire du mal, peur d’être brusque, envie d’être bien vu, etc.
Si l’on file la métaphore du cocon, on se souviendra que celui-ci est provisoire. Un cocon n’est pas fait pour durer. Il est fait pour assurer une protection pendant la période où l’organisme est fragile et incapable d’assumer seul sa protection en vue de sa survie. À l’intérieur du cocon, l’organisme est censé grandir, renforcer ses structures, se développant de manière à devenir autonome.
Souvenons-nous de cela lorsque nous accompagnons. Un accompagnement n’est pas une structure fermée. C’est un processus, qui propose une structure qui est censée suivre l’évolution de l’accompagné(e), en devenant de moins en moins protectrice. Ceci induit la nécessité pour celui qui accompagne de « gérer » la distance qu’il ou elle prend au fur et à mesure, mais aussi de permettre à l’autre de se développer de plus en plus librement : un professionnel, au début, a besoin de recevoir des informations à propos de « comment faire le métier ». Plus il ou elle pratique, plus ses besoins seront de développer sa propre manière de faire. Nous appelons ça le style : deux professionnels faisant le même métier peuvent avoir un niveau de compétence équivalent, et délivrer le même niveau de qualité, tout en ayant des styles différents. On pourrait décrire le style comme l’impact sur les comportements professionnels de la personnalité de chacun. Le cocon doit s’ouvrir peu à peu, suffisamment pour permettre au professionnel de développer son style.
En guise de conclusion
Accompagner un jeune professionnel, c’est avant toute chose accompagner : cela nécessite donc une posture, qui est développée avec conscience. C’est un travail que l’on peut apprendre à faire, et qui ne sera jamais figé. Grâce à ce processus, souvenons-nous que c’est une manière de se situer dans une dynamique de transmission, qui est nécessaire pour que le métier dure et se transforme.
Pour aller plus loin
• Mentorat, coaching et leadership – Initiation du dirigeant, Kouadio Amos Assouman, L’Harmattan, 15,50 € (2021)
Remerciements
Les réflexions à l’origine de ce dossier ainsi que ses contenus sont issus d’une séance de travail auprès de directeurs expérimentés : Yahia, Elisabeth, François, Romain, Delphine, Jérémy, Laurent. Qu’ils en soient ici remerciés.
- Titre :
- Accompagner un jeune professionnel
- Auteur :
- Pascal Mullard
- Publication :
- 24 décembre 2024
- Source :
- https://www.jdanimation.fr/node/232
- Droits :
- © Martin Média / Le Journal de l'Animation
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