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Guylaine Benech : "Il faut offrir des armes aux jeunes pour se protéger de l'alcool"

Chapo

À la veille de la cinquième édition du « Dry January », rencontre avec Guylaine Benech, autrice de Sa Première cuite, manuel de prévention positive autour de l’alcool, consultante et formatrice en prévention des conduites addictives. L’opportunité de comprendre et connaître ce qui se joue entre les jeunes et l’alcool et de réfléchir aux actions de prévention à mettre en place au sein des structures d’accueil d’enfants et de jeunes.

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© Mélanie Janin
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Le Journal de l’Animation : Quel rapport entretiennent les jeunes avec l’alcool et est-il problématique ?

Guylaine Benech : Dans les représentations des jeunes et des mineurs, l’alcool est un produit très banal, essentiel et incontournable dans les fêtes des adolescents, contrairement au tabac. L’âge de la première ivresse a lieu très tôt, à 15 ans. À 17 ans, près d’1 mineur sur 2 (44 %), déclare s’être alcoolisé massivement au moins une fois au cours du mois écoulé. C’est un véritable problème de santé publique.

© Cottonbro Studio – Pexels.com

On assiste cependant à une tendance émergente avec une augmentation du nombre de jeunes qui ne boivent pas d’alcool. On se retrouve donc face à ces deux phénomènes. On observe aussi une féminisation des alcoolisations de jeunes femmes qui boivent davantage, avec un comportement calqué sur le comportement masculin. Or, chez elles, il y a un plus haut risque pour plein de raisons physiologiques et de sécurité.

JDA : Que se passe-t-il dans la tête d’un ado qui boit de l’alcool ? Pourquoi avons-nous raison d’être si inquiets ?

Guylaine Benech : On pourrait continuer de dire que l’alcoolisation fait partie des rites de passage. Or, en 2024, consommer de l’alcool à l’adolescence n’est pas anodin, car leur organisme est en pleine croissance (le foie, les reins…) et nous avons aujourd’hui des connaissances scientifiques, notamment grâce aux neurosciences, que nous n’avions pas il y a trente ans.

Nous savons comment fonctionne le cerveau d’un ado. Il n’est mature que vers l’âge de 24-25 ans et ne réagit pas comme celui d’un adulte. La consommation d’alcool lui est plus nocive. En effet, l’alcool est un puissant neurotoxique qui crée des dommages au niveau du développement du cerveau de l’adolescent et de sa personnalité. L’alcool est une des premières causes de mortalité chez les jeunes.

Plus un jeune consomme tôt de l’alcool, plus il risque de développer un comportement d’addiction. Notre but collectif doit être de retarder le plus possible la première consommation d’alcool et encore plus la première ivresse.

Paragraphes

Le Dry January  

Rendez-vous sur le site du Dry January afin de découvrir la campagne, les événements qui ont lieu près de chez vous, des outils (flyers, affiches, bannières pour les réseaux sociaux), mais aussi des guides à télécharger : au travail, en parler avec ses proches, en équipe. L’occasion de parler d’alcool sans tabou et de mesurer les effets positifs de cette pause : à l’issue de ce « défi de janvier », 71 % des personnes prétendent mieux dormir, 88 % économiser de l’argent, 80 % mieux contrôler leur consommation d’alcool.

Plus d'infos sur https://dryjanuary.fr/ et sur les réseaux sociaux (Facebook, X et Instagram).

JDA : Le « Dry January » qui démarre au 1er janvier peut-il être un outil au service de cette prévention ?

Guylaine Benech : Le Défi de Janvier (https://defi-de-janvier.fr ), aussi appelé « Dry January » (https://dryjanuary.fr), c’est l’occasion de parler de l’alcool pendant tout le mois de janvier. Cette campagne devait être portée par les pouvoirs publics, mais l’État s’est désengagé sous la pression des lobbys viticoles, ce qui est inacceptable et a provoqué un mini-scandale, notamment dans l’opinion publique.

Mais cette campagne a été reprise par les associations de prévention. C’est une véritable initiative citoyenne, ce qui lui permet une liberté de ton. Elle est présentée de façon positive. Beaucoup de jeunes font le Défi de Janvier, les plus jeunes voient les plus grands le faire… Le « mois sans alcool » envoie un message très fort : il n’est pas anodin de boire de l’alcool. Il débanalise, désacralise le produit, change le rapport à l’alcool. Les enfants reçoivent le message que l’on peut faire la fête sans alcool. Faire des pauses, cela peut sauver des vies et éviter l’addiction. Il est important que des jeunes aient cet outil-là pour se protéger.

JDA : Que dire de l’environnement dans lequel grandissent des enfants et les ados, du marketing, des messages des influenceurs sur les réseaux sociaux ?

Guylaine Benech : On assiste aujourd’hui à un détricotage de la loi Évin. La publicité est autorisée partout dans l’espace public et contribue à une représentation positive de l’alcool. On sait que plus un enfant est exposé, plus il est susceptible de boire de l’alcool à l’adolescence. Or, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande d’interdire ces messages publicitaires, notamment dans des lieux fréquentés par des enfants, des mineurs et des personnes vulnérables. Car ces publicités sont très bien faites, elles donnent envie de boire. Cette omniprésence du marketing est un axe contre lequel on devrait beaucoup plus agir, travailler.

Je pointerais aussi les jeunes femmes, qui sont des cibles privilégiées. Parce qu’elles sont jeunes, parce qu’elles sont femmes, il y a tout un marketing « girly », « glamour »… des notions considérées comme féminines. On en parle moins, mais la communauté LGBTQ+ est elle aussi une cible des industriels de l’alcool. Par exemple, le groupe Pernod-Ricard, qui, à travers le marketing de l’Absolut Vodka, associe le fait de boire de l’alcool au fait d’assumer son identité de genre. Or, on réfléchit peu à la protection de ces jeunes invisibilisés.

JDA : Comment peut-on aider les adolescents à lutter contre ces sirènes ?

Guylaine Benech : On peut organiser des temps de réflexion sur le marketing et la publicité en faveur de l’alcool, comme aussi de la malbouffe. Les animateurs sont très bien placés pour concevoir de telles actions avec les jeunes, ils savent s’y prendre pour animer des discussions. Plus on développera l’esprit critique des enfants et des adolescents, plus on leur apprendra à décrypter ces messages, plus on leur donnera les moyens de se protéger.

À travers ces temps de réflexion critique, ils seront à même de décrypter les messages sur les réseaux sociaux. Beaucoup de stories sont des publicités déguisées (1). Ce sont des procédés que je qualifierai de « dégueulasses » de la part d’influenceurs qui ont des contrats avec des marques de produits alcoolisés. Ce qui est illégal et indigne.

JDA : Vous évoquez le marketing en direction des jeunes femmes. En quoi y a-t-il danger et comment agir ?

Guylaine Benech : Il existe des risques spécifiques pour les jeunes femmes. L’alcool est la première drogue du viol. Un rapport de Laurent Bègue pour la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) pointe qu’il y a une prévalence d’agressions sexuelles dans un contexte d’alcoolisation en milieu étudiant. On peut organiser des ateliers sur la question du consentement, du respect, réfléchir à la place de l’alcool, au viol par soumission chimique… Il est possible de faire intervenir des partenaires, des associations spécialisées dans ces questions, ayant pour rôle de libérer la parole de jeunes agressés dans des soirées alcoolisées.

JDA : Quelle peut être la place des animateurs de structures éducatives dans cette prévention ?

Guylaine Benech : La prévention peut se cacher là où on ne l’attend pas, en parlant avec des jeunes de sujets de société (marketing, lobbys…). L’animateur peut alors communiquer des informations, lors de temps dédiés ou de façon informelle. Cela doit devenir un réflexe chaque fois que l’occasion s’y prête. Cela est valable aussi pour le cannabis, le tabac…

L’animateur doit être formé, être aux courant des effets et des risques de l’alcool. Dans l’idéal, il devrait selon moi y avoir une intervention a minima sur l’alcool dans les formations Bafa. L’animateur peut jouer un rôle de médiateur, solliciter une association…

Notre rôle éducatif est aussi de donner aux ados des armes pour se protéger des produits addictifs. On peut aider au renforcement des compétences psychosociales des jeunes, les aider à gérer leurs émotions autrement qu’à travers la consommation de produits et à élaborer leur esprit critique, afin de les aider à résister à l’influence du groupe. Si le jeune n’a pas cette capacité, il peut se mettre en danger.

Aider les jeunes à gérer les soirées et à éviter les drames.
© Mart Production – Pexels.com

L’adolescence est une période où le jeune a besoin de ressentir des émotions fortes. Il a besoin de se dépasser, de prendre des risques. Il faut être en mesure de proposer des alternatives aux jeunes, en leur proposant des prises de risques sans produit, à travers le sport, des défis, la musique… de vivre des expériences fortes de manière saine. En agissant ainsi, les animateurs, en plus, pallient des inégalités sociales, surtout dans les quartiers prioritaires. Il faut que l’animateur travaille à partir de ses compétences propres, de ce qu’il aime plus particulièrement.

La meilleure protection reste la relation quotidienne de proximité. L’animateur a une connaissance fine de chaque ado. Il peut repérer des jeunes en difficulté et les orienter vers une Consultation jeune consommateur (CJC) par exemple. Sa posture est importante. En Amérique du Nord, on parle de « modèle de rôle » (role model). Si l’animateur reste l’adulte référent, il est essentiel de cloisonner les espaces, il reste le grand frère, le modèle, le complice, il peut avoir de l’influence sur le jeune.

Il est aussi nécessaire de mener une réflexion collective de toute la structure, voire du quartier : comment on aborde les questions d’alcool en interne ?

Il est aussi important d’apporter aux ados des messages de sécurité : comment on gère un coma éthylique ; boire de l’eau entre chaque verre d’alcool ; ne pas boire le ventre vide… afin d’aider les jeunes à gérer les soirées et à éviter les drames.

Enfin, la clé, c’est le partenariat, travailler avec les conseils locaux de santé, le service de santé municipal, contacter le service d’addictologie, réfléchir avec les partenaires du milieu scolaire… Travailler avec les familles. Chaque adulte a son rôle à jouer.

JDA : À partir de quel âge mettre en place une prévention ?

Guylaine Benech : On peut commencer dès le plus jeune âge. En France nous avons peu d’outils. Mais on peut déjà travailler sur les idées reçues (« Non, les jeunes ne boivent pas tous. », « Non, avoir un discours de prévention n’empêche pas d’être cool. ») et sur ses représentations. Il est important de savoir que les préados s’intéressent aux questions du corps et de la santé. Bien leur expliquer les dangers à long terme, c’est protecteur.

Enfin, impliquer les jeunes à travers des outils participatifs, c’est essentiel, comme des cafés forums, des jeux de rôle… Les animateurs ont des outils et des compétences pour mener de telles actions.

(1) Lire par ailleurs le rapport de l’Association Addictions France « Promotion de l’alcool – les réseaux sociaux, un nouveau far west », septembre 2024.

Un manuel de prévention positive  

Dans l’ouvrage de Guylaine Benech, point de sermon moralisateur, d’interdits… mais du bon sens, des capacités d’écoute, d’empathie et beaucoup d’humour. Ce livre s’adresse aux parents d’adolescents mais aussi à tout adulte jouant un rôle éducatif en direction des jeunes. S’appuyant sur de solides études scientifiques, mais aussi sur son vécu de mère de famille, Guylaine Benech apporte des conseils pratiques pour prévenir les méfaits d’une consommation excessive, sans jamais culpabiliser quiconque.

Sa Première cuite, manuel de prévention positive autour de l’alcool, Guylaine Benech,
autoédition Publishroom.com, disponible sur le site www.sapremierecuite.fr

Projets d'animation

Titre :
Guylaine Benech : "Il faut offrir des armes aux jeunes pour se protéger de l'alcool"
Auteur :
Isabelle Wackenier
Publication :
23 janvier 2025
Source :
https://www.jdanimation.fr/node/2632
Droits :
© Martin Média / Le Journal de l'Animation

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