« Le Débarquement il y a 80 ans, c’était hier ! »
Les élus du conseil municipal jeunes de Noës-près-Troyes (Aube) se sont rendus, en juin dernier, aux cérémonies du 80e anniversaire du Débarquement et ont eu la chance d’échanger avec des vétérans. Retour sur un projet exceptionnel autour de la connaissance de notre histoire et de nos institutions et du devoir de mémoire.
« Les 15 élus du conseil municipal jeunes sont revenus changés de ce séjour. Là-bas, sur les lieux du Débarquement, ils ont vu et ressenti les choses. En revenant, ils étaient fiers de dire ‘’j’y étais et j’ai vécu cet anniversaire, ce moment unique’’. Pour nous, c’est une victoire. » Sarah Mokrani, adjointe de direction du service enfance jeunesse de Noës-près-Troyes et coordinatrice de l’accompagnement à la scolarité et du conseil municipal jeunes (CMJ), ne cache pas son émotion. Tout comme sa collègue, Naoual Aichafki, référente du CMJ et animatrice dans l’ACM de la commune, qui se tient à ses côtés. Toutes deux, plus de trois semaines après le séjour, sont encore troublées par ce qu’elles viennent de vivre. L’émotion s’entend dans leurs voix et se lit dans leurs yeux.
« Le Débarquement, pour ma part, je l’ai vécu dans les livres d’histoire et à travers des reportages à la télé mais je n’avais pas jusqu’alors ressenti l’ampleur de cet événement. Sur place, en présence des vétérans, c’était totalement différent. D’où l’importance de mener de tels projets avec les jeunes. On leur apporte des supports pour comprendre le monde et cela vaut tous les cours d’histoire. »
Pensé et choisi par les jeunes
Amener des adolescents à participer aux cérémonies du 80e anniversaire du Débarquement… Le pari est osé car, aujourd’hui, pour beaucoup de jeunes comme d’adultes, c’est une date de l’histoire, lointaine et floue ; la signification et la portée de cet événement se sont perdues dans les mémoires. Pour autant, ce séjour de trois jours n’est pas un hasard ou une décision des adultes mais, bel et bien, un choix imaginé et effectué par les jeunes eux-mêmes.
« Notre arrivée au 80e anniversaire du Débarquement a débuté il y a deux ans, lorsque le conseil municipal jeunes a choisi de travailler sur la connaissance de son territoire, de ses institutions, des valeurs de la République… On a commencé par visiter des sites du département puis nous nous sommes rendus à Paris dans ou devant des bâtiments institutionnels, comme L’Élysée. » Le CMJ a également renoué des liens d’amitié avec la ville jumelée d’Urmitz-Rhein et s’est rendu en Allemagne pour rencontrer ses habitants. Ces sorties furent pour certains l’occasion de se rendre pour la première fois dans la capitale, même si la commune se trouve à une heure et demie de train de Paris, ou de sortir de France.
« On s’est ainsi rendu compte que les jeunes élus venaient à toutes les commémorations, conformément à leurs missions, sans pour autant connaître la signification historique de ces événements. C’est une des raisons qui a poussé les nouveaux élus du CMJ, dès leur installation en mars 2024, à poursuivre ce qui avait été fait lors du précédent mandat et de l’élargir au devoir de mémoire. »
D’un commun accord, tout le monde, adultes et jeunes, a décidé de participer physiquement au 80e anniversaire du Débarquement qui serait sûrement l’une des dernières opportunités de rencontrer des vétérans [ndlr : Léon Gautier, le dernier des 177 Français du commando Kieffer ayant participé au D-Day, s’est éteint le 3 juillet 2023]. Le souhait des jeunes était de déposer des gerbes dans les zones françaises et britanniques en l’honneur de tous ceux qui ont contribué à sauver la France.
« On est partis sur trois jours, les 5, 6 et 7 juin. Il y avait les 15 élus du CMJ et des élus de la commune. Au total, on était 28. Il n’a pas été simple d’organiser un tel séjour dans un laps de temps si court. Ce fut un véritable parcours du combattant car la grande majorité des locations de la région était réservée depuis plus d’un an. On a toutefois eu de la chance et nous avons été hébergés à Potigny, dans un gîte trouvé par les élus de cette commune située à 20 minutes au sud de Caen. »
Des rencontres improvisées
Le séjour a commencé le mercredi, vers midi, sur Potigny où les jeunes ont créé du lien avec les élus qui les accueillaient. L’après-midi, ils se sont rendus au musée de la Batterie de Merville où se tenait ce jour-là une cérémonie organisée en l’honneur des parachutistes. Ce fut l’un des premiers temps forts car les jeunes y ont rencontré leurs premiers vétérans.
« Le lendemain, ce fut notre journée la plus longue. Nous nous sommes levés à 4 h du matin pour être en mesure de franchir assez tôt la zone bouclée en raison de la venue des chefs d’État. » Le groupe avait prévu de se rendre au mémorial Pegasus et d’y déposer une gerbe en hommage aux soldats. « Après la pose des fleurs, une femme qui observait les jeunes depuis quelque temps s’est approchée. Elle a commencé par les remercier. Elle ne connaissait que quelques mots de français mais l’un des membres du groupe a servi d’interprète et nous avons discuté. Nous avons appris qu’elle était la fille du premier soldat britannique [ndlr : Herbert Denham Brotheridge] tombé sur le pont Pegasus, là où tout a commencé, et qu’elle était née trois semaines après la mort de son papa. Elle participait à une cérémonie en l’honneur de son père, dont nous n’avions pas connaissance. Elle a invité les jeunes à y participer en présence de la marine et de la fille du major Howard qui a dirigé l’opération. Cela a été très émouvant. »
Le groupe s’est ensuite rendu à Arromanches pour assister à une autre cérémonie britannique en présence du prince William. Là, des vétérans se sont approchés des jeunes et leur ont offert des pin’s du 80e anniversaire. « C’est l’écharpe tricolore qui les a attirés. Ils leur ont serré la main et ont échangé en français. » Le soir, ce fut le feu d’artifice « incroyable, on avait l’impression de revivre le Débarquement, avec les coups de feu, les bruits d’avion… »
Le troisième jour, il était prévu de se rendre dans la zone américaine, bloquée la veille, pour y déposer une nouvelle gerbe. « Mais, ce jour-là, on a été bloqués 4 heures dans le car parce que Joe Biden avait décidé de retourner au cimetière. J’ai tenté de négocier mais les forces de sécurité américaine ne rigolent pas. On a cru que j’allais être plaquée au sol. » Le groupe est donc retourné sur Arromanches pour revivre l’histoire du Débarquement dans le cinéma circulaire 360°. « Là, il s’est passé quelque chose dans la tête des jeunes : ils ont exprimé une envie d’agir pour la paix, de faire en sorte qu’une telle tragédie ne se reproduise plus. »
À la fin de l’après-midi, ils sont montés sur les hauteurs et ont déposé une gerbe au pied d’un ensemble de statues fabriquées à base de plomb. « Ce fut là encore un moment fort. On a été accompagnés par des porte-drapeaux et les jeunes ont été abordés par des étudiants slovaques tournant un documentaire. Ceux-ci souhaitaient savoir ce que leur apportait ce séjour et ce qu’ils entrevoyaient pour le futur. Des gens sont morts pour que nous soyons libres, ce sont leurs mots ; c’était très touchant et poignant. »
Le CMJ de Noës-près-Troyes
Le conseil municipal jeunes se compose de 15 jeunes âgés de 9 à 15 ans, élus par les élèves de l’école primaire et les collégiens habitant sur la commune. « C’est une entité bien à part de l’ACM. Ce sont des élus qui ont un rôle et qui doivent obéir à un règlement particulier. Ils montrent l’exemple, portent l’écharpe tricolore… Ils sont répartis en deux commissions, sports loisirs culture et environnement citoyenneté. Lors de leur première réunion, ils élisent le jeune maire qui est une fille et les présidents des deux commissions. »
Les projets du CMJ sont financés grâce à l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), les Cités éducatives puisque une part de la commune et des communes environnantes sont des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), le fonds interministériel pour la prévention de la délinquance (FIDP), la région Grand Est… et des partenaires locaux, comme la commune de Noës-près-Troyes. Sarah Mokrani se charge de monter les dossiers de subvention. « On est en concertation avec les jeunes, leurs attentes et ce qu’ils souhaitent faire. Ensuite, avec eux, on monte des dossiers, définit des objectifs… Après, c’est la directrice du service, Karine Husson, qui se charge d’aller piocher parmi les subventions possibles. Sans elle, on ne pourrait rien faire. »
Agir pour un monde de paix
« Ce séjour a permis aux jeunes d’échanger avec les vétérans, de comprendre la signification des médailles accrochées à leur uniforme, les raisons qui les ont poussés à s’engager et à risquer leur vie. » Ils ont été touchés d’apprendre que ceux qui ont participé au Débarquement n’avaient que quelques années de plus qu’eux, que certains avaient même 16-17 ans et qu’ils avaient menti sur leur âge pour s’engager. Comme ils ont été marqués par le fait d’apprendre que des soldats étaient morts sans avoir touché le sol français, dans les airs ou noyés.
« Les jeunes avaient une autre idée de la guerre, à laquelle seuls des adultes participaient. Les vétérans étaient contents que des jeunes soient là. On avait l’impression de voir des papis qui racontaient des histoires à leurs petits-enfants. » On parle souvent du rôle essentiel que le devoir de mémoire doit tenir dans la construction des futurs citoyens. Pour autant, sur place, Sarah Mokrani et Naoual Aichafki n’ont pas croisé d’autres groupes de jeunes. « Il y avait des familles mais nous n’avons pas vu de classe, hormis lors de la toute première cérémonie. Nous avons été étonnés. » Le déplacement du CMJ de Noës-près-Troyes a donc sans surprise intrigué les médias présents, français et internationaux. Les jeunes suscitaient l’étonnement avec leur écharpe tricolore et ont été interviewés à plusieurs reprises par des médias nationaux et internationaux, comme la chaîne américaine CNN.
Dans les différents camps de reconstitution, les jeunes ont appris de manière bienveillante et ludique. Ils sont rentrés dans des costumes d’époque, ont découvert comment on soignait alors les soldats, ont manipulé du matériel. « À chaque moment, nous avions des frissons. »
À leur retour, les jeunes ont parlé de ce qu’ils avaient vécu dans leur cercle familial. « On a eu des retours positifs de nombreux parents. » Il y a aussi eu des exposés en classe et des moments d’échanges avec leurs camarades et leurs enseignants. « On ne pensait vraiment pas qu’on parviendrait à les toucher autant. »
Ce voyage a également eu un impact sur leur perception du devoir de mémoire. Les jeunes du CMJ aimeraient par exemple aujourd’hui mener plus d’actions en direction des personnes âgées. « Ils sont devenus plus attentifs à cette tranche d’âge. » Mais avant, d’autres événements se profilent. Telle la projection, le 11 novembre prochain, d’un film tourné durant ces trois jours par un réalisateur dans le cadre du festival de cinéma Charlie Chaplin auquel participent les jeunes. « Nous avons par ailleurs programmé en décembre une visite du Parlement européen à Strasbourg. »
Le CMJ envisage aussi de poursuivre son travail de mémoire en rencontrant d’autres vétérans et de se rendre en Angleterre. « Les deux commissions du conseil municipal se chargeront de voter les actions qu’elles souhaitent mettre en place en fonction des budgets alloués. Les jeunes aimeraient multiplier en parallèle les rencontres avec leurs pairs, à la manière des débats pizzas qu’ils organisent déjà régulièrement. Pour débattre librement mais de manière respectueuse de l’actualité, du monde de demain, de la paix... car ce qui se dit pendant le débat pizza, reste dans le débat pizza. » Il n’y a donc pas de jugement et ils sont libres de construire là un futur différent, leur futur.
Contact
Sarah Mokrani
Tél. 03 25 78 48 19
sarah [dot] belabassilesnoes [dot] com (sarah[dot]belabassi[at]lesnoes[dot]com)
- Titre :
- « Le Débarquement il y a 80 ans, c’était hier ! »
- Auteur :
- Florent Contassot
- Publication :
- 22 décembre 2024
- Source :
- https://www.jdanimation.fr/node/2437
- Droits :
- © Martin Média / Le Journal de l'Animation
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