Animateur·ice petite enfance : un « métier passion » pas toujours reconnu
Les animateurs ayant choisi de travailler avec des tout-petits témoignent d’un engagement sans faille en direction de ce public sensible et délicat. Pourtant, le recrutement, la valorisation et la mixité des équipes ne sont pas faciles.
« Les tout-petits sont sans filtre, ils parlent avec leur cœur et avec leurs yeux, c’est ce qui fait le charme de notre métier ! », s’exclame Karine Houzé, référente petite enfance et directrice de l’ACM au centre social L’Atelier, à Marquette-Lez-Lille (Nord). « Je suis payée à jouer avec les enfants. Les parents nous confient ce qu’ils ont de plus précieux, c’est une responsabilité importante. » Sarah Mokrani, directrice d’ACM maternelle dans la commune Les-Noës-Près-Troyes (Aube), témoigne aussi de son attachement envers ce public particulier des 3-6 ans, son « public de cœur » : « Je les considère comme une page blanche. Tout est à créer. On aide parents et enseignants à les éduquer. Ils sont dans l’imaginaire, ils s’émerveillent de tout. Je ne me pose pas de limites. »
Estelle, 50 ans, dans l’animation depuis 10 ans à la suite d’une reconversion pro- fessionnelle, est passée par des structures associatives et des collectivités. Elle présente un « métier passion », à l’instar de Cécile Cailaud, animatrice en périscolaire dans une petite commune de 2 000 habitants près de Blois, qui ajoute : « Je suis une personne très manuelle. C’est une façon pour moi de garder mon âme d’enfant. J’aime jouer, même lorsqu’il s’agit de mettre les manteaux, à l’envers cela va de soi », sourit celle que les enfants appellent « Cécile la coquine » !
Enthousiasme et créativité
Jennifer, dans le Tarn, parle de sa « tranche d’âge privilégiée ». Prétendant ne pas avoir « d’autorité naturelle », elle dit « ne pas crier beaucoup et ne pas aimer faire le policier. Avec les tout-petits, un simple froncement de sourcils et le fait d’élever un peu la voix » suffisent à ramener le calme. Elle aime l’« enthousiasme des enfants pour toutes les activités : IIs ont tout à découvrir. C’est toujours chouette de travailler avec eux ».
Si ces professionnelles de l’animation ne tarissent pas d’éloge sur leur public cible, Nelly, dans le Var, aujourd’hui directrice dans une structure maternelle en collectivité territoriale depuis plus de 15 ans, avoue avoir pris « comme une punition » de travailler avec des tout-petits, pour « découvrir ensuite cette passion ». Les tout-petits, ce n’est pas forcément le public vers lequel les animateurs se tournent spontanément. Sarah souligne la difficulté « de recruter des animateurs qui veulent travailler avec ce public. Les 3-6 ans passent en dernier. Quelles sont les craintes des animateurs ? Veulent-ils privilégier les plus grands car ils sont plus autonomes ? »
Il n’existe pas de formation spécifique à l’animation de ce jeune public. Michèle Dupin, référente petite enfance d’une commune rurale, en Loire-Atlantique, accueille toute l’année des stagiaires issus de formation de CAP Petite enfance ou services à la personne. Elle constate que « s’ils ont une bonne connaissance du public du point de vue de la physiologie de l’enfant, ils ne connaissent pas les techniques d’animation et le mot “pédagogie” qui pourtant est l’épicentre de notre métier ».
Des parcours de formation multiples
Thomas Ségeron, tout jeune animateur de 22 ans, en apprentissage dans un centre socioculturel à Vernon (Vienne), a entrepris tout un parcours de formation dans la petite enfance. À la suite d’un CAP « accompagnement éducatif petite enfance » en alternance pendant deux ans au sein d’une crèche dont il garde un très bon souvenir, il a eu « besoin de travailler avec des plus grands ». Il pointe les enjeux d’être formé en matière de développement de l’enfant. « Cette expérience en crèche ne m’a pas été inutile car j’ai appris plein de choses sur le développement de l’enfant. On comprend mieux quand on sait ce qui se passe avant l’âge de 3 ans, avant leur arrivée dans la structure, pourquoi des enfants de 3 à 6 ans peuvent avoir des problèmes de motricité, par exemple, chacun grandit à son rythme. »
Nelly se forme quant à elle avec les Francas sur les droits de l’enfant depuis quelques années : « Comment prendre en compte la parole de l’enfant ? Comment s’adapter à l’enfant et non l’inverse ? Plutôt que de proposer des activités aux enfants, je me suis recentrée sur l’équipe. J’essaie de faire prendre conscience aux animateurs au quotidien que la place de l’enfant est primordiale. Une formation parfois squeezée au Bafa, donc je reprends les bases avec eux. »
Cécile regrette qu’« en raison de la pénurie d’animateurs, on prenne des gens qui n’y connaissent rien. » Détentrice du Bafa, elle repasse son Bpjeps actuellement, elle « s’informe », et « [adorerait] pouvoir suivre plus facilement des formations » mais les frais d’hébergement engendrés freinent les collectivités.
Où sont les hommes ?
Si les données concernant la profession sont rares et parcellaires, on constate que la profession est majoritairement féminine et notamment auprès d’un public de maternelles : 85 % d’animatrices en milieu périscolaire selon le rapport de la mission d’information parlementaire sur les métiers du lien (juin 2020), basée sur les chiffres du Centre national des employeurs d’avenir (Cnea). D’autres bases de données corroborent ce pourcentage important de femmes dans le métier. 84 % des emplois de la branche professionnelle des acteurs du lien social et familial sont occupés par des femmes (Panorama 2018 de la commission paritaire nationale emploi formation –Alisfa).
La mixité des équipes
Peu de garçons – encore moins que pour l’ensemble de la profession (voir encadré ci-dessus) – s’orientent vers ce public, comme témoigne Thomas : « En CAP Petite enfance, j’étais le seul garçon sur 20, c’était très drôle. Les tout-petits étaient impressionnés, quand je haussais le ton. Mais les enfants ont appris à me connaître. » Il constate que « les stéréotypes de genre existent » malgré tout. « Souvent on voit des animateurs hommes dans des activités sportives et des femmes plus dans des activités de théâtre, de danse, de perles… ». « La petite enfance n’est pas uniquement destinée aux femmes », renchérit Karine qui souligne « l’importance d’avoir des animateurs masculins, en termes de repères pour l’enfant ».
Sébastien Drivierre, coordinateur de trois services périscolaires et du service jeunesse à Epinay-sur-Orge (Essonne) a, quant à lui, « découvert les maternelles en accueil de loisirs, [il était] un des rares garçons dans le paysage de la petite enfance. Le fait d’être un homme permet de développer un lien différent et complémentaire aux femmes dans les activités. » Émilie, quant à elle, précise « porter des valeurs non genrées, à ce titre-là, un animateur homme ou femme, c’est pareil. »
Un métier dégradé
Si bon nombre d’animateurs pointent la responsabilité qui leur incombe d’accueillir des tout-petits et les attentes en besoin de formation, force est de constater parfois « le manque de reconnaissance affligeant de ce métier », comme le souligne Estelle qui témoigne « avoir vu le métier se dégrader au fur et à mesure », ou Émilie : « Les animateurs des plus grands sont plus reconnus dans leur posture que les animateurs de maternelles qui sont dans la “garderie”. » Cécile aborde aussi la question de la rémunération : « Encore un métier sous-payé et peu connu. Les parents n’ont pas idée de la charge de travail. »
Zézé, sur Facebook, parle aussi de « la reconnaissance de ce métier et de sa valorisation. ». Cécile pointe aussi la question des effectifs : « Le soir on a 34-35 petits. On a beau être trois animateurs, cela mériterait d’être plus. On a beau amener les enfants vers plus d’autonomie, il nous manque des adultes. »
- Titre :
- Animateur·ice petite enfance : un « métier passion » pas toujours reconnu
- Auteur :
- Isabelle Wackenier
- Publication :
- 22 novembre 2024
- Source :
- https://www.jdanimation.fr/node/2236
- Droits :
- © Martin Média / Le Journal de l'Animation
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