Parents, enfants et animateurs à l’épreuve du numérique
Alors que les technologies évoluent très vite, les outils numériques semblent creuser un fossé entre les adolescents et leurs parents, ces derniers se disant en attente en matière d’accompagnement à la parentalité sur ce domaine. Un terrain sur lequel les acteurs de l’éducation populaire peuvent apporter leurs compétences éducatives.
Messageries, réseaux sociaux, jeux vidéo, streaming, musique, intelligence artificielle (IA)… mais aussi dérives et effets délétères du numérique, relayés dans les médias : harcèlement, fake news, injures, comportement addictif, isolement social… Qui peut prétendre aujourd’hui se passer du numérique ? Que ce soit pour prendre un titre de transport, déclarer ses impôts, gérer son compte bancaire, commander un repas, traduire du texte, travailler sur un exposé, suivre la scolarité d’un enfant… la liste ne peut pas être exhaustive, tant les outils numériques – incontournables et indispensables – sont au cœur de nos interactions sociales.
La culture du tout numérique – imposée entre autres par les administrations et autres services publics – laisse cependant bon nombre de personnes sur le bord de la route, les plongeant dans l’illectronisme et l’isolement. Sans parler de notre empreinte numérique, qui est une autre approche de la problématique.
Trois écrans par personnes
Si le numérique ne se résume pas aux seuls écrans, force est de constater que ces derniers sont très (trop ?) présents dans les foyers français. L’enquête « Parents, enfants & numérique 2024 » de l’Observatoire de la parentalité & de l’éducation numérique (Open), menée par Ipsos avec le soutien de Google, révèle sans surprise que le smartphone est l’écran le plus présent au sein des foyers français (92 %) et chaque personne y possède en moyenne trois écrans.
Cette enquête a l’avantage et l’originalité de croiser les perceptions des parents et des enfants (voir encadré ci-dessous). Adultes, enfants et adolescents sont de grands consommateurs. Les écrans ne prennent pas de week-end, partent en vacances avec les familles… et les risques liés à un usage mal ou non contrôlé des écrans sont réels : physiques, psychiques et en matière de sécurité. Ajoutons à ces effets néfastes le fait que Mark Zuckerberg, propriétaire de Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp), a décidé d’arrêter le « fact checking » (la vérification de l'information), s’alignant ainsi sur la politique d’Elon Musk, patron de X (ex-Twitter). Cela n'augure rien de bon (pour en savoir plus, écouter l’émission « Le Téléphone sonne » de France Inter du 9 janvier 2025). De quoi prendre peur ?
Pratiques numériques : parents vs enfants
- Parents comme enfants estiment passer trop de temps sur leurs écrans : 71 % selon les parents et 59 % selon les enfants ; selon 74 % des parents, leurs enfants passent trop de temps sur leurs écrans. Cette prise de conscience des adultes concerne surtout les adolescents de 15 à 17 ans, pour lesquels 84 % des parents pensent qu’ils passent trop de temps sur les écrans, tandis que chez les plus jeunes la prise de conscience est clairement en baisse.
- Le temps passé sur le smartphone est en hausse chez les 15-17 ans et passe à 4 heures 43 par jour (contre 4 heures 07 en 2021). Chez les 11-14 ans, il est de 2 heures 49 quotidiennes contre 2 heures 58 en 2021.
- Les parents sous-estiment le temps passé par leurs enfants en dehors de l’école avec un écart de presque une heure, entre le déclaratif des enfants et le ressenti parental.
- Les enfants et les adolescents utilisent les écrans sans la présence d’un adulte et les enfants sont connectés de plus en plus tôt à Internet.
- Un enseignement majeur de cette enquête demeure le manque d’intérêt porté par les adultes une fois les enfants équipés.
- Un autre enseignement paradoxal est que plus les enfants sont jeunes, moins les parents semblent s’intéresser à leurs pratiques.
- Les parents et les enfants ont une vision différente des risques liés à l’utilisation des outils numériques. Les maux physiques vécus par les enfants sont parmi les premiers cités par ces derniers : difficultés à s’endormir pour 30 % des 7-17 ans, délaissement d’autres loisirs (28 %), maux de têtes ou oculaires (27 %), difficultés à se passer de ses outils numériques (27 %). En revanche, l’exposition aux fake news, à des contenus violents, la rencontre avec des inconnus et le cyberharcèlement souvent évoqués par les adultes ne semblent pas correspondre dans les mêmes proportions à la réalité du vécu des enfants.
- Les enfants semblent calquer leurs représentations sur celles des adultes. Alors que les enfants déclarent être peu nombreux à avoir été victimes de cyberharcèlement, lorsqu’il s’agit d’évoquer avec eux leurs craintes face à cette violence, ils l’évoquent pour 27 % d’entre eux, chiffre quasi équivalent à celui indiqué par les adultes (28 %). À noter que, paradoxalement, cette crainte inquiète particulièrement les collégiens et les lycéens alors qu’elle commence plutôt chez les parents et diminue ensuite.
- Les parents demeurent globalement plus inquiets du risque de dépendance aux écrans que leurs enfants (36 % vs 25 %).
- Le risque de rencontrer des inconnus est évoqué pour 32 % des adultes, alors qu’il n’est évoqué que par 15 % des jeunes interrogés et réellement vécu par 11 % d’entre eux.
- Ces constats invitent globalement à repenser l’éducation au numérique pour sortir de l’évitement des risques et se centrer autour d’un accompagnement éducatif adéquat avec pour objectif le transfert des compétences aux enfants.
Source : enquête « Parents, enfants & numérique 2024 » de l’Observatoire de la parentalité & de l’éducation numérique (Open).
Un défi de parentalité
Comme le souligne l’enquête de l’Open, l’usage du numérique est devenu un défi en matière d’accompagnement à la parentalité : 53 % des parents déclarent ne pas se sentir suffisamment accompagnés sur l’éducation au numérique de leurs enfants (+ 6 points par rapport à 2021). Une préoccupation entendue et prise en compte par les pouvoirs publics. À titre d’exemple, la dernière version du carnet de santé des nouveau-nés, disponible depuis le 1er janvier 2025, s’appuie sur les recommandations du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) : elle comporte des questions sur l’exposition puis sur l’utilisation des écrans, à partir de l’âge de trois mois et jusqu’à l’adolescence, afin de permettre aux professionnels de santé de repérer les problématiques liées à leur usage.
Comment « gérer » le temps des écrans de son enfant ? Comment reprendre la main sur l’usage du téléphone de son ado, sur son « addiction » aux jeux vidéo ? À partir de quel âge l’autoriser à s’inscrire sur un réseau social ? Faut-il interdire les téléphones portables dans les établissements scolaires ? Ce sont des questions, parmi tant d’autres, auxquelles les professionnel·les de l’animation interrogées dans le cadre de ce dossier sont confrontés, notamment en ce qui concerne la classification PEGI pour accompagner l’achat ou l’utilisation d’un jeux vidéo pour son enfant. De nombreux parents n’y connaissent rien et sont dépassés.
Les missions de l’éducation populaire
Pourtant, les jeunes accueillis actuellement dans les structures sont issus d’une génération de parents nés dans la culture numérique, qui en connaissent les codes… mais qui se voient démunis malgré tout face à la montée en puissance du numérique : jeux vidéo, musique, streaming, réseaux sociaux…
Des initiatives sont mises en place comme des temps parents-enfants organisés dans les structures – « cafés numériques », soirées ou après-midi de « retrogaming», pour ne citer que ces expériences – afin de permettre de reconnecter petits et grands.
À travers ces propositions innovantes et tâtonnantes, un autre questionnement apparaît : « Quelle est la mission de l’éducation populaire dans cet accompagnement ? », « A-t-elle un rôle à jouer dans l’éducation des enfants et des jeunes aux outils numériques ? », « Comment garantit-elle, dans ce contexte, une éducation à l’esprit critique des enfants et des jeunes ? »
L’éducation populaire et ses acteurs n’ont-ils pas une place à prendre avec leur capacité d’écoute, leur faculté de s’intéresser aux centres d’intérêt des jeunes, afin d’adapter leurs propositions éducatives à cet enjeu de société ? À l’instar de l’équipe du Comité régional des associations de jeunesse et d’éducation populaire Nouvelle-Aquitaine (Crajep-NA), qui publiait l’an dernier, les résultats d’une enquête menée en ligne auprès de 4 003 jeunes néo-aquitains de 11 à 17 ans en 2023-2024, sur leurs pratiques numériques (voir interview de Kim Delagarde). Histoire de ne « plus être à la ramasse », comme le souligne Kim Delagarde, membre du comité de pilotage de l’enquête et d’avoir « des choses à inventer » en « allant vers les jeunes, les observer », quitte à soulever de nouvelles questions, que chaque acteur pourra s’approprier à la lecture de ce dossier : « Comment réagit-on face à aux thématiques numériques des jeunes ? Comment les accompagne-t-on ? Où peut-on agir et comment ? » À vous de jouer !
Les pratiques numériques des jeunes
- En 2023, 4003 jeunes néo-aquitains de 11 à 25 – jeunes scolarisé·es ou fréquentant les associations d’éducation populaire du Crajep-N-A – ont répondu à l’enquête du Collectif EducPopNum, diffusée en ligne du 19 juin au 31 octobre, autour de trois grands sujets abordés pour la première fois :
- l’esprit critique : confiance ; fake news ; influence et algorithme ;
- l’identité numérique : protection des données ; vie privée ;
- l’impact environnemental : conséquences écologiques des pratiques numériques.
Équipements numériques
- 95 % des jeunes (garçons et filles confondus) possèdent un smartphone personnel ; 64 % un ordinateur personnel. La quasi-totalité des jeunes de 14 ans et plus détiennent un smartphone. Une infime minorité de 1 % n’a aucun équipement numérique. 68 % d’entre eux possèdent plus d’un équipement.
L’esprit critique
- Les jeunes se déclarant « garçons » de 11-14 ans sont les plus confiants dans les informations circulant sur les réseaux sociaux ; les répondantes se déclarant « filles » de 15 ans auraient le plus tendance à être plus prudentes.
- Il apparaît qu’en grandissant, les jeunes deviennent moins indifférents face aux fake-news.
- Les fake-news provoquent des émotions négatives (« Ça te fait peur » ; « Ça t’énerve » ; « Ça te révolte ») : chez 31 % des 11-14 ans, chez 39 % des 15 ans, chez 41 % des 16 ans, chez 41 % des 17 ans, chez 49 % des 18-25 ans.
L’identité numérique
- Les jeunes semblent ne pas savoir réellement ce que signifie protéger sa vie privée. La question de savoir si les jeunes ont complètement conscience des dangers se pose.
- Le Crajep émet l’hypothèse qu’ils essayent de se protéger mais ne savent pas comment faire, peut-être en lien avec un problème d’accès à l’information.
- Le fait que les parents ont un rôle à jouer pour protéger sa vie privée, entre autres avec le contrôle parental, revient à plusieurs reprises dans l’enquête.
L’impact environnemental
- 91 % des répondant·es pensent que les usages numériques ont un impact sur l’environnement. La conscientisation sur les impacts environnementaux des usages numériques semble augmenter avec l’âge.
- 80 % des répondant·es pensent que leurs usages numériques personnels ont un impact sur l’environnement. Plus l’âge augmente, plus les jeunes déclarent avoir conscience de l’impact environnemental de leurs usages numériques.
- 59 % des jeunes qui pensent que leurs pratiques numériques ont un impact sur l’environnement, suivent aussi des évènements politiques ou ont déjà signé des pétitions en ligne.
- 33 % des répondant·es déclarent modifier leurs habitudes numériques face aux enjeux environnementaux. C’est par le choix de consommation que les jeunes agissent en priorité pour prendre en compte les enjeux environnementaux de leurs usages numériques : 41 % déclarent renoncer à l’achat de nouvel équipement et 11 % se tournent vers des équipements à faible impact environnemental.
- Vient en deuxième action celle de l’utilisation (temps d’utilisation, mode stockage, mise à jour et mode de connexion).
Téléchargez l’enquête et ses résultats ici.
- Titre :
- Parents, enfants et animateurs à l’épreuve du numérique
- Auteur :
- Isabelle Wackenier
- Publication :
- 29 janvier 2025
- Source :
- https://www.jdanimation.fr/node/2674
- Droits :
- © Martin Média / Le Journal de l'Animation
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